(insérer titre random) | Coup de Foudre

Petite Source n'avait encore jamais mis une patte en dehors de la pouponnière. Elle restait à la limite entre l'intérieur et l'extérieur, observant passivement la vie qui se déroulait devant elle. Il y avait tant de noms, tant de visages qu'elle ne connaissait pas; et elle avait tellement hate de les rencontrer!
En fait, assise dans un mélange de poussière où jahissaient quelques brins d'herbe jaunes de façon anarchique, elle se dandinait en passant d'une patte à l'autre. L'excitation lui brûlait les lèvres, et Petite Source avait envie de hurler « Regardez moi! Venez me voir! » mais elle les gardait closes.
Au fond, elle avait peur, car du haut de sa petite taille elle avait déjà du être confrontée à quelques regards sévères et glaçants lorsqu'elle avait voulu rencontrer de nouveaux amis guerriers. Elle ne comprenait pas vraiment, sa seule piste était que ces mauvais yeux étaient dûs à maman, l'ancienne guérisseuse, Nuit Hivernale.
Tout ça lui passait au dessus de la tête, parce qu'elle ne saisissait pas la complexité de l'affaire et tout les enjeux que cela représentait; mais apparemment, Nuit Hivernale avait fait quelque chose de très très très mauvais, et aujourd'hui, Petite Source et tout ses frères et soeurs Boule devaient en payer le prix.
Pourquoi?
Son innocence et sa simplicité d'enfant hurlaient de nombreux et incessants pourquoi dans sa petite boite crânienne car déjà, elle se sentait blessée par cette presque-haine avec laquelle ils devaient vivre.
Souvent, elle se demandait si elle n'avait pas fait de bêtise, et pour cette raison, elle restait la plupart du temps calme et bouche cousue, presque statique, espérant qu'elle serait ainsi pardonnée et enfin aimée.

Être aimée, c'était quelque chose de très agréable, et son coeur lui murmurait qu'elle n'en avait pas assez. Il était gourmand, jamais rassasié, se creusait à chaque regard de travers ou pour des choses plus futiles, comme lorsque l'on l'appelait « Petite Source ».
C'était là l'un des rares cas qui la poussait à élever la voix pour se faire entendre : elle ne voulait pas être appelée Petite Source mais Boule de Source. Pourquoi était-elle la seule de tout ses frères et soeurs à porter le nom de Petite? Pourquoi était-elle exclue de cette façon? Avait-elle fait quelque chose de mal lorsqu'on lui avait donné son nom?
Malheureusement, elle ne pouvait savoir, car toutes les fois où elle avait essayé de se rappeler la fois où on lui avait donné son nom, elle n'était parvenue qu'à remonter à un étrange souvenir, le plus lointain qu'elle retrouvait. Juste une odeur inconnue qu'elle n'avait jamais senti ici et elle avait même fini par l'oublier. Elle savait juste qu'elle était différente, aurait peut-être pu la décrire si son vocabulaire avait été plus développé que celui du chaton d'une lune qu'elle était.

Assise près de la sortie de la pouponnière sans jamais franchir la frontière, Petite Source s'amusait à gonfler ses joues car la sensation était rigolote et parce qu'il fallait bien qu'elle trouve quelque chose à faire pour occuper ce temps qu'elle perdait à ne rien faire pour essayer de se faire pardonner, elle et sa famille.
Enfin, une ombre gigantesque pour sa petite taille se profila, et elle reconnu rapidement la silhouette de Coup de Foudre. Qu'il était joli!! Elle aimait bien Coup de Foudre, et il avait l'air d'aimer beaucoup de gens même si c'était d'une façon un peu étrange et lointaine pour elle - c'était une raison suffisante pour l'apprécier davantage.
Quand elle aurait 4 lunes et le courage de sortir de là, elle irait demander au grand monsieur Étoile du Vautour pour qu'il demande son mentor. Si elle se faisait toute petite, et gentille, et aussi toute jolie, peut-être qu'il accepterait.
En attendant, elle était là, trop jeune pour s'inquiéter de ce genre d'affaire et sortir de sa pouponnière, petit chaton né en hiver dont on attendait une potentielle mort de froid ou de maladie - parce que c'était un sort commun, ce qu'elle ne réalisait pas. À ses yeux, elle avait toute la vie devant elle.

« Coup de Foudre! » appela-t-elle d'une petite voix pour ne pas se faire entendre par les autres, car si ça se trouve, c'était une bêtise qu'elle était en train de commettre. « Coup de Foudre dis- non dites pourquoi moi c'est PETITE Source? Pourquoi c'est pas BOULE de Source? Dites, tu savez ça? Parce que- c'est vrai BOULE de Source c'est quand même plus JOLI et aussi tout les autres ils ont BOULE et moi j'ai PETITE et ça me rend triste dans le coeur. Parce que je suis toute seule. J'aime pas être toute seule. »

Petite Source murmura ces dernières paroles comme une confidence, parce qu'elle ne voulait personne pour entendre ce qui aurait peut-être pu les blesser. Ses frères et soeurs la comblaient, et elle ne voulait surtout pas qu'ils pensent qu'elle ne les aimait pas et qu'ils la laissaient trop souvent seule.
Son mélange de tutoiement et de vouvoiement s'expliquait par sa difficulté à comprendre les règles du vous, qu'elle s'efforçait à vouloir appliquer depuis qu'un adulte lui avait expliqué que c'était plus poli, et que c'était une jolie manière.

Elle avait été plus facile, la première portée - Roux était roux, Bec avait son bec, Boule était dodue (Non Coup de Foudre, c'est Nuage de Braise maintenant) et Patte avait des pattes (encore raté, c'était Nuage Ardent)... La seconde était en revanche comportée de trois boules - une de Chaleur, une de Neige, une de Chance - et d'une quatrième Petite rajoutée au lot, pour l'épargner un peu, comme lui avait dit Tonton. Il voyait Roux lui jeter des regards parfois, dans le campement, pour lui peser qu'il ne réussirait pas cette deuxième manche de leur petit jeu à deux.

Il avait raison, et c'était bien ça qui l'excitait - à se savoir aussi mauvais parent il n'avait plus le choix de se déconstruire et de se reconstruire en bon à l'aide de caractéristiques et de petits procédés mnémoniques ; il était attentionné - ou plutôt donnait l'illusion de dépenser de l'attention pour autrui - et altruiste - ou plutôt jaugeait le poids de son plaisir seulement et seulement si ce-dernier était partagé avec les autres - et il voyait tout ces changements se faire d'un œil extérieur et froid.

Tout le monde voulait changer les choses, mais personne n'avait envie de se changer soi-même. Soit - il le ferait, lui. Il n'avait, somme toute, rien à perdre, puisqu'il n'était rien de toute manière. Rien qu'un amalgame de comportements qu'il avait mimé comme un miroir (mais à la surface déformée, comme ceux au Cirque...).

— « Coup de Foudre!

Son oreille saine se pivota et il dressa la tête en entendant son nom, ainsi que les petits pas pressés d'un chaton qui sortait de la pouponnière, se rendant vulnérable au froid.

— Coup de Foudre dis- non dites pourquoi moi c'est PETITE Source? Pourquoi c'est pas BOULE de Source? Dites, tu savez ça?
— Source--
— Parce que- c'est vrai BOULE de Source c'est quand même plus JOLI et aussi tout les autres ils ont BOULE et moi j'ai PETITE et ça me rend triste dans le coeur. Parce que je suis toute seule. J'aime pas être toute seule.

Le bengal s'était arrêté de marcher pour regarder d'yeux ronds la petite s'éteindre après son soudain gain d'énergie. Il éclata de rire.

— Ma petite Source de bonheur! ♡ ♡ ♡

Il commença, et son sourire imita celui de Raton-Laveur lorsqu'il leur avait parlé de sa belle Abeille. Il se mit au diapason d'un très fort ronron, revenant sur ses empreintes dans la neige en se coulant vers le bas pour se ficher le nez dans le poitrail de sa fille:

— Tu n'es pas toute seule! Tu as tous tes frères et sœurs dans la pouponnière, et un jour tu seras apprentie et vous serez tous nuages, ha hah !

Ses pupilles se dilatèrent dans ses yeux, comme s'il venait de repérer une proie, mais la sienne fut plus figurative alors en imitant le chaton il monta sa patte à sa moustaches, couvrant le son pour lui glisser à elle aussi une confidence:

— Tu sais, j'étais "Petite Foudre" avant...!

Il fronça vite les sourcils pour jeter un coup d'oeil derrière, s'assurant qu'aucune oreille indiscrète n'entendrait le précieux secret. En réalité il n'en savait rien - il n'avait aucun souvenir ou presque du temps avant le redoux du Blizzard, c'est à dire du temps où Renouveau Printanier l'avait reconstruit. Mais il savait ce genre de mensonge réconfortant, car il leur créait un point en commun, et c'est en reliant ces points (un frisson lui prit en sentant sa constellation de cicatrices sus-cutanées se réchauffer sous son poil) qu'on arrivait à s'entendre.

Coup de Foudre se mit à rire très fort, et comme c'était là quelque chose que Petite Source pouvait interpréter comme du bonheur, Petite Source lui offrit un large sourire, toutes dents dehors. Elle n'avait pas vraiment compris pourquoi le guerrier s'était mit à rire comme quand elle entendant une blague super géniale sur les souris et les campagnols, mais c'était sans doute une raison de grande-personne qu'elle ne pouvait pas encore comprendre.

— Ma petite Source de bonheur! s'exclama-t-il.

Petite Source était comblée et mécaniquement, elle se mit à ronronner. Elle aimait vraiment Coup de Foudre, parce qu'elle avait la sensation que lui l'aimait. Et ce n'était sans doute qu'une sensation, une petite impression fragile, une imitation parfaite qui ne deviendrait jamais réelle. Petite Source n'observait cet amour qu'avec les yeux - elle ne le toucherait jamais - mais qu'importe. L'amour et le regard des autres la comblait au plus au point et Coup de Foudre, lui, savait comment s'y prendre.
Il fouilla dans son poitrail avec son museau, faisant tomber Petite Source à la renverse dans un éclat de rire. Si seulement ces moments pouvaient durer toujours.

— Tu n'es pas toute seule! Tu as tous tes frères et sœurs dans la pouponnière, et un jour tu seras apprentie et vous serez tous nuages, ha hah !
— Oui mais-

Coup de Foudre changea de posture, et la petite bicolore comprit qu'il voulait lui confier quelque chose que les autres ne devaient pas entendre. Un secret!! Oh elle adorait les secrets! Elle aurait pu les cueillir comme des fleurs dans les champs si c'était possible, et tous les garder pour elle. Peut-être en partagerait-elle en échange d'un peu d'amour. Ça lui semblait équitable.

— Tu sais, j'étais "Petite Foudre" avant...!

Petite Source écarquilla les yeux, surprise, observant celui qui lui semblait être un géant de la tête aux pattes dans un petit ohhh surpris. Elle se ressaisit enfin, clignant des paupières vivement comme si une poussière venait de s'y logeait.

— Je le dirais à personne, promis! murmura-t-elle en espérant le rassurer.
Ce n'était pas rien, de confier des secrets.

Donc, Coup de Foudre était autrefois un Petit, comme elle. C'était déjà rassurant, et un bon argument pour accepter un peu plus son nom, parce que Coup de Foudre était c o o l. Un problème subsistait néanmoins, ce qui la dérangeait le plus - car si ses frères et soeurs avaient porté le nom de Petit comme elle, elle l'aurait accepté sans soucis.

— Et tes frères et soeurs à vous aussi ils étaient des Boules? Vous t'étais tout seul?

À quoi ressemblaient ses frères et soeurs, d'ailleurs? Elle ne les avait jamais vu - et en même temps, elle n'avait jamais vu grand monde. Elle s'imaginait qu'ils étaient aussi cools que lui, et que bientôt, ils viendraient leur rendre visite. Toujours plus de visites! Et toujours plus d'amour, s'ils lui ressemblaient. Ce qu'elle avait hâte...